Rouget de Lisle : sa vie, ses œuvres, la Marseillaise

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ils s'arrachèrent avec fracas des entrailles de la montagne, et je sentis le pavillon qui s’élevait rapidement dans les airs. Au bout de quelques minutes il s'arrêta et tout s'évanouit.

(Je restai seul, planant dans le vide comme un épervier, puis je descendis lentement et traversai plusieurs zones de nuages, les unes brülantes, les autres glaciales. Lorsque j’en sortis, j’aperçus la terre comme un point dans l’espace. Ma chute alors se précipita de manière à me faire perdre la respiration; et bientôt je reconnus le mont et le bois de Montaigu, ensuite des blocs énormes de rochers, sur lesquels je tombai perpendiculairement. À l'instant du choc qui devait me mettre en pièces je m'écriai, tressaillis, et, m’éveillant, je me trouvai sur mon lit, trempé de sueur, et dans la posture où je croyais être en nageant au milieu de l'atmosphère.

€ Un moment après j’entendis quelque bruit dans la pièce voisine : c'était un domestique qui couchait au dessus de ma chambre et qui, réveillé parle cri terrible que J'avais jeté, accourait tout tremblant pour voir ce qui m’élait arrivé.

€ I recueillit à la hâte les pièces éparses de mon coucher dont il répara le désordre et se retira.

« Seul avec moi-même, je me rendis compte de cette étrange fantasmagorie, et je l’avouerai, ce futavec terreur. Quel espoir de me rappeler cette romance fatale, de me la rappeler d’après la version anglaise, tandis que je n'avais pu retenir un mot de l'original ?

«A peine avais-je fait celte réflexion qu’à ma très grande surprise, et comme par un prodige, tous les éléments de la romance se représentérent à ma pensée, isolés et sans ordre, à la vérité. Mais j'avais remarqué la disposition des couplets et principalement la manière dont chacun se terminait : la fin du dernier s’offrit la première, et