Souvenirs de Russie 1783-1798 : extraits de journal de Mme Leinhardt

28 J. CART

Le 29 : « On ne veut point de volontaires à l’armée. Voilà qui remettra le calme dans bien des têtes, et peut-être la raison, car plusieurs de nos jeunes gens parlaient de leurs projets comme d'une partie de plaisir. Ils auraient appris trop tard le contraire.

« L'Empereur a nommé le général Laudon pour commander son armée, et le prince de Ligne grand maître de l'artillerie. On dit que nos troupes ont déjà passé le Bug, ce qui serait un grand avantage. Le grand-duc désire passionnément aller à l’armée, mais on ne sait point encore s'il en obtiendra l'agrément. »

Octobre 27 : « On chante dans ce momentun Te Deum pour une victoire remportée sur les ennemis. Tout ce qu'on sait encore, c’est que 5.000 Tures sont restés sur la place et qu'il n'y a eu qu'un seul prisonnier. On dit que les nôtres n'étaient qu'au nombre de 2.000 et qu'ils ont perdu fort peu de monde. Cependant ils ont été repoussés deux fois. Le général Souvaroff, qui les commandait en chef, a reçu deux blessures en les ramenant une troisième fois à la charge, et c'est alors que cette horrible boucherie a eu lieu. Quatre officiers ont été tués, etquarante blessés. Les Turcs avaient faitune action aussi imprudente qu'héroïque, en renvoyant les bâtiments qui les avaient amenés pour sÔôter à eux-mêmes tout espoir de s'enfuir, puis ils s'étaient régulièrement retranchés devant le fort de Kinburn, et c'est là que les Russes les ont attaqués. On dit qu'ils se sont défendus comme des enragés. 800 d’entre eux se sont jetés dans l'eau, où ils se sont noyés plutôt que de se rendre. On a trouvé plusieurs officiers français parmi les morts. Ce sont ces messieurs, sans doute, qui ont conduit toute cette affaire, car, sans la France, il est douteux que les Turcs eussent osé en venir à une rupture, et certainement, sans son secours, ils auront beaucoup de peine à soutenir la gageure. »

Le 31 : « Le général Souvaroff a reçu une épée enrichie de brillans, présent ordinaire aux généraux qui ont remporté une victoire. »

Novembre 12 : « Depuis la dernière affaire, nous n'avons point de nouvelles de l’armée, excepté que les Turcs nous ont pris un raisseau de 64 canons que la tempête avait jeté sur leurs côtes. On dit que, dès que l'armée de l'Empereur sera devant Belgrade, le prince attaquera Ockzakoff, et le maréchal Roumianzoff, Chokzim. Toit cela, le mème jour. Si c'était vrai, les Tures auraient bien chaud. »