Souvenirs de Russie 1783-1798 : extraits de journal de Mme Leinhardt

SOUVENIRS DE RUSSIE 59

demandé quand il voulait qu'on chantât le Te Deum, il a demandé pourquoi? L'autre, un peu surpris, a répondu que c'était pour le féliciter de son avènement au trône. « J'ai perdu ma mère, dit alors l'empereur; quand nous lui aurons rendu les derniers devoirs, il sera temps de penser à moi! »

L'histoire nous a appris quel avait été le sort du ezar Pierre IT, l’absence complète de sympathie entre lui et sa femme, les intrigues de cette dernière pour s emparer du pouvoir. Pierre III, admurateur passionné de Frédéric Il, montrait trop ouvertement, semble-t-il, ses préférences pour les étrangers et son mépris pour les Russes. Le parti vieux russe fomenta une conjuration dont la princesse Dashkoff, l'intime amie de Catherine, était l'âme. Pierre IT, enfermé, signa son abdication et peu après périt empoisonné et étranglé. L’impératrice Catherine fut accusée d’avoir pris une part trop grande à ce dénouement tragique. Après son installation solennelle dans l’église de Kasan, elle s'appliqua à faire oublier son mari. À peine Paul I°* était-il monté sur le trône, qu'il songea à réhabiliter la mémoire de son père. Voici ce que nous lisons dans le journal de Mie L.

Le 22 novembre (1797) : « Les portraits de Pierre III sont sortis de l'oubli où ils étaient restés depuis tant d'années. Jamais son fils ne l’avait vu qu'en miniature. L'attendrissement de l’empereur fut très grand en voyant l'image de celui qu'il regrettait depuis son enfance. Il se prosterna devant lui et le fit révérer comme un saint par toute sa famille. L’oukase fut donné d’exhumer son cercueil qui est à Neffski pour le transporter à la forteresse et le placer parmi les souverains de Russie, avec les honneurs qui lui sont dus. Déjà hier, dans les prières pour l’Impératrice, on a réuni les prières pour son époux, et le deuil est ordonné pour deux. En attendant le transport du cercueil, le service se fait à Neffski comme à la Cour. Le cercueil a été placé sur un nouveau catafalque et couvert d'un glacé en or avec les aigles de l'empire. Douze chevaliersgardes, deux généraux en chef et tous ceux qui suivent dans l'État-Major, deux chambellans et deux gentilshommes de la Chambre font le service comme à la Cour. Le cercueil est placé sur une estrade et l’on va baiser une croix en argent placée dessus. Il sera exposé les trois derniers jours au palais avec son épouse ; le convoi se fera en même temps; puis leurs cendres seront réunies