Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

8 UN HIVER A PARIS

boulevard, et je me suis trouvé au milieu d'anciens nobles, — parmi lesquels le duc de Montmorency-Laval, — de sénateurs, législateurs, diplomates et bon nombre d’Anglais. On a diné à une table d'environ cinquante couverts, présidée par une femme d’un certain âge, d'extérieur distingué, et par un homme de bonne mine: service, local, menu, tout était à souhait. En sortant de table, on a passé dans une suite de pièces brillamment éclairées, contenant un billard et un salon de lecture largement pourvu de journaux français et anglais et de brochures courantes. Chacun s’est installé à sa fantaisie, lisant, causant ou jouant. Cet établissement est une création du comte de Tilly, ancien page de la Reine, revenu d’émigration. Ruiné par la Révolution, il a eu l’idée de meubler richement cet hôtel et d’y organiser un cercle, avec table d'hôte, non publique, de manière à permettre aux émigrés ou aux étrangers de se procurer, moyennant finance, les douceurs de l’ancien confort. La maison s'appelle : Hôtel du Commerce: le rez-de-chaussée, ouvrant sur un jardin, est réservé pendant la journée aux abonnés, qui ont le droit d'amener des invités en payant une cotisation déterminée. Les appartements supérieurs sont loués à des habitués du club.

Je profiterai souvent de la présentation du baron ; il est impossible d'imaginer un milieu plus agréable et de meilleur ton. C'était, m’a-t-on dit, le comte et la comtesse de Tilly (1) qui faisaient les honneurs du diner; ils les ont fait avec une courtoisie extrême.

(1) Les Mémoires du comte Alexandre de Tilly (3 vol., Paris, 1828) ne font aucune allusion à un séjour du « beau Tilly » en 1802. Ils ne parlent que de son retour officiel en 4807. Mais comme Vanderbourg, dans ses Annales littéraires, reproche à Reichardt d’avoir, en ce passage, « fait connaître le nom et le titre d’un homme qui les à quittés pour faire un état auquel là perte de la fortune l’a réduit »,