Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

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physionomie expressive, jusqu’au timbre un peu voilé de sa voix, donnaient quelque chose de touchant aux témoignages de sa reconnaissance. Des plaisanteries piquantes, des traits vifs ou profonds animaient sa conversation, toujours empreinte d’une urbanité exquise.

Denon, fort laid et d’un abord moins sympathique, s’est borné à conter ses voyages avec une bonhomie enjouée.

Trois Italiens, remarquables chacun dans son genre, étaient aussi mes voisins de table. D’abord Visconti, le célèbre archéologue romain, réfugié en France après avoir été l’un des cinq consuls de l’éphémère république romaine. Bonaparte en a fait un administrateur du Musée des Antiques (1). De petite taille, grassouillet, d’un certain âge, mais d’une pétulance toute méridionale, il a le verbe haut, formule avec chaleur ses appréciations ou ses jugéments et les commente au besoin, à l’aide du crayon qu'il a sans cesse à la main. On dit qu'en arrivant, il comptait être nommé directeur général des Musées ; Denon, amateur plein de goût, écrivain facile, compagnon de Bonaparte en Égypte, Va emporté. Il paraît que les opinions de Visconti et sa liberté de langage sur certains sujets, qu'il importe de res pecter aujourd’huï, sont pour quelque chose dans sa déconvenue.

Le sculpteur vénitien Canova, dont la Psyché enfant (2) a fait mon admiration à Rome, est le plus aimable et le plus doux des hommes. Le caractère de son talent répond

(4) A son arrivée en. France, ses fonctions furent celles d'adminisbrateur du Musée des Antiques et des tableaux du Louvre, avec le tre de surveillant: c'est en 1803 qu'il devint conservateur des Antiques.

(2) 1 s'agit de la Psyché tenant un papillon. Fernow, dans une étude sur Canova (Ramische Studien, Zurich, 1806), dit qu'elle a été exécutée pour le comte Mangili de Venise.