Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

SOUS LE CONSULAT. 15

exactement à celui de sa physionomie fine et rayonnante d'intelligence. Il travaille en ce moment à une statue du Premier Consul (1). Je n’ai pu m'empêcher, à ce propos, de dire en riant : C’est la statue de l’artiste que le Consul aurait dû commander au sculpteur! Mais je me suis vite aperçu que j'avais froissé la modestie naïve de Canova. J'aurais mieux fait de retenir ma langue.

Le poète Casti (2), tout feu et tout action, en dépit de ses quatre-vingt-deux ans, contrastait étrangement avec son compatriote si réservé. Casti a un vrai masque de satyre, et sa voix éraillée, sa parole à peine intelligible, font penser à l'organe que l’on suppose aux êtres à pieds fourchus qui agaçaient les nymphes. J'avais lu récemment son épopée comique, Gli animali parlanti (les animaux parlants), dénotant de la verve, mais trop licencieuse, et je lui en fis naturellement mon compliment. Le poète jugea sans doute que je ne l'encensais pas suflisamment, car il trouva mille moyens de m'amener à renchérir sur mes éloges. Je m'y suis prêté de si bonne

(1) En 1802, Canova fut, en effet, appelé à Paris pour exécuter le buste de Bonaparte destiné à une statue colossale du Premier Consul. « À ne considérer ce buste, dit Fernow, que comme portrait, ilest d’une physionomie extrèmement expressive. Il est difficile de trouver dans tous les bustes de l’antiquité une tête qui annonce tant de force, tant de grandeur d'âme et tant de profondeur de génie. Il est malheureux que le reste de la statue n'ait pas la même perfection. » Il ne resterait aujourd'hui de cette statue que le buste exposé dans un des salons du palais Farnèse.

(2) L'abbé J.-B. Casti a été en honneur auprès des appréciateurs de Rétifet de Parny. Cet octogénaire spirituel et libidineux, écrivant en style d'improvisatore, était venu échouer, en 1798, au siège de la « République Athénienne » du Directoire, après avoir colporté sa verve bouffonne dans les cours des potentats européens. En décembre 4802, son esprit vif et gai jetait son dernier feu ; janvier 1803 et la grippe allaient marquer le terme de cette longue existence de Triboulet littéraire. — Ses Animaux parlants ont trouvé

trois traducteurs français : deux prosateurs, un versificateur. C'est beaucoup d'honneur!