Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

16 UN HIVER A PARIS

grâce, parait-il, que le vaniteux vieillard a fini par m'engager vivement à aller le voir, afin de prendre connaissance de quelques Nouvelles qu'il compte publier et d’admirer son buste qui s’achève. Ce Casti a vraiment un entrain, une passion sensuelle incroyables; on le rencontre partout dans le monde, jamais je n’ai vu son pareil.

Parmi les autres convives, je ne citerai que Narbonne, l’ancien ministre de la guerre de 1792, et Saint-Farre (1), fils du vieux d'Orléans, père d'Égalité. Cet ex-abbé, qui a fait les beaux jours de Trianon, ne me semble pas revenu d'Espagne avec des idées beaucoup plus rassises.

Chez Lavalette, en dehors des amphitryons, c’est l’exconventionnel Riouffe, membre du Tribunat, qui m'a particulièrement intéressé. Quand on a lu ses Mémoires d'un détenu, on s’est fait une idée assez juste de l'homme. Je ne me suis donc pas senti désorienté en sa présence. Comme son style, sa conversation est nette, vive, imagée; elle abonde en saillies originales. Je ne m'étonne pas qu'il passe pour un des brillants causeurs de Paris. Sa taille est moyenne, sa physionomie spirituelle.

Il m'en à été tout différemment avec Millin (2), savant archéologue qui dirige le Magasin encyclopédique : l’aspect de sa personne m'a tout à fait dérouté. Je m'étais rendu à l’une de ses réceptions hebdomadaires, me figurant me trouver en présence d’un vieux professeur gourmé. Rien n’y ressemble moins! Petit, alerte,

(4) L'abbé de Saint-Farre, fils de Louis-Philippe d'Orléans et de Mile Le Marquis, danseuse à l'Opéra, présenté au Roi comme fils naturel et reconnu du duc en 1784. L'abbé avait émigré fort tard ; sous la Restauration, il s’est trouvé dans la gène avec 25,000 livres

de rente. (Honoré BONHOMME, Le dernier abbé de cour.)

(2) Infatigable polygraphe, Millin avait succédé, en 1794, à l'abbé Barthélemy, comme conservateur du Cabinet des médailles. Le pétulant érudit n'avait que quarante-trois ans. :