Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

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remuant, mine éveillée, toujours en quête, cheveux noirs frisant naturellement et taillés à la Titus, voilà l'homme! Il ne tient pas en place : avant que l’on ait eu le temps de répondre à ses questions brèves, rapides, saccadées, il a tourné les talons et parle ou disserte déjà avec un autre interlocuteur. Ses réceptions du mercredi, de sept à dix heures du soir, sont un centre de réunion commode pour les étrangers instruits et pour les lettrés parisiens. Il occupe, dans les bâtiments nord de la Bibliothèque, un grand appartement dont une pièce, garnie de livres en bel ordre, est consacrée à ses réceptions. Au milieu, sur une longue table, sont déposés les derniers numéros des journaux scientifiques français et étrangers, ainsi qu'une quantité de brochures; les publications allemandes y sont nombreuses, vraisemblablement à l’intention de nos compatriotes qui forment la majorité des visiteurs étrangers. En m'approchant de cette table, j'avais remarqué une édition du Pro Marcello de Cicéron, avec nouvelle traduction française; sur le titre, la harangue latine est qualifiée « chef-d'œuvre d’éloquence ».

Un colloque d’un dénouement assez plaisant s’engagea, à propos de ce livre, entre Millin et moi. Il me questionnait sur Wolf (1) et sur son Homère. Dans mes réponses, j'avais fait allusion au dernier travail du philologue, dans lequel l’authenticité du Pro Marcello est contestée. Millin paraissait faire peu de cas de mes arguments, lorsque soulevant, sans y penser, le volume de l’édition française, je mis à découvert l'écrit même de Wolf, glissé pardessous. Mon docte interlocuteur s’était gardé d’en soufÎler mot; — ce fut la fin de la discussion!

(1) Wolf, le célèbre philologue, à ce moment professeur à l'Université de Halle, dans le voisinage de Guibichenstein, où Reichardt possédait une villa. Les Prolégomènes sur Homère ayaient paru en 1795.

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