Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

18 UN HIVER À PARIS

Je vais devenir le voisin de Millin. Aujourd’hui même, je quitte le somptueux Hôtel de Courlande (L), place de la Révolution, où l’on est écorché à vif, et je m'installe rue de la Loi (rue Richelieu), maison des Languedociens ; on en dit grand bien.

D’excellentes auberges s'appellent maisons : c’est un vestige du temps de la Terreur, alors que l'enseigne hôtel eût été réputée aristocrale. Mon intention n’est pas de devenir un hôte assidu du département des Manuscrits ; j'ai d’autres projets en tête. Je songe simplement à me rapprocher du centre de Paris et des grands théâtres; l'éloignement de l’Hôtel de Courlande m’occasionnait trop de perte de temps.

Fidèle à mon programme, je n'ai pas négligé les spectacles. À l'Opéra, j'ai entendu Sémiramis : c’est la tragédie de Voltaire, affreusement déformée par le librettiste Desriaux. La mise en scène est splendide, la musique de Catel, professeur au Conservatoire (2), est pleine d’intentions louables qui, dans quelques passages, aboutissent à des résultats satisfaisants. Mais, en définitive, elle est faible et fourmille de réminiscences de Glück et de Sacchini. La méthode abominable de la première chanteuse, Mile Maillard, l'insuffisance du ténor Layné et de la basse

(1) Le Guide du voyageur à Paris, de l'an X (1802). Gueffier, cite

en effet l'Hétel de Courlande en tête « des plus élégants et des plus vastes ». (2) Comme Rameau, Catel ambitionnait la double gloire de théoricien et de compositeur; son traité d'harmonie a été, ‘pendant vingt-cinq ans, le seul suivi au Conservatoire. Sa Sémiramis est jugée avec plus de bienveillance par Fétis que par Reichardt :

« Il faut le dire, écrit-il, elle ne brillait pas par ces traits de création qui marquent tout d'abord la place d’un artiste; mais le chant y était si noble et si gracieux, la déclamation si juste, l'harmonie si pure, qu'en examinant aujourd'hui cette partition, on s'étonne que le public de 1802 lui ait montré si peu de sympathie. » (Biographie universelle des musiciens (1883).