Les derniers jours d'André Chénier
302 LES DERNIERS JOURS D'ANDRÉ CHÉNIER
toutes les prisons de Paris. La prison de Bicètre donna une première « fournée » de soixante-treize victimes. Puis on « fit de la place » au Luxembourg en faisant tomber cent quarante-six têtes. Le 5 thermidor, une « fournée » de quarante-six condamnés fut extraite de la prison des Carmes. Ce fut bientôt le tour de SaintLazare. Et M. Chénier le père, avec une impeccable correction de vieux diplomate, s’obstinait à vouloir tout obtenir d’une procédure légale! Il voulut sauver son André par un mémoire justificatif, adressé au Comité de salut public, par des démarches auprès des députés influents! Solliciteur éconduit, il s’obstinait à espérer contre toute espérance.
André Chénier, lui, se désespérait et nous avons l'expression de cette fureur grandissante du prisonnier, qui se croit abandonné de tous.
Mourir sans vider mon carquois,
Sans percer, sans fouler, sans pétrir dans la fange Ces bourreaux, barbouilleurs de lois,
Ces vers cadavéreux de la France asservie, Égorgée. O mon cher trésor,
O ma plume! Fiel, bile, horreur, dieux de ma vie! Par vous seuls je respire encor.
Moyÿennant cent louis, qui furent versés au mouchard Jaubert et dont Fouquier-Tinville (cela est prouvé) eut sa part, Aimée de Coigny, la jeune captive et Montrond, son ami, furent rayés des listes fatales. André Chénier, ayant commis, selon l’expression d’un de ses plus récents biographes, « toutes les maladresses d’une grande âme », y resta.
André eut le sort de tous les hommes de cœur et d'intelligence qui, dans les discordes civiles, sont passionnément modérés. Ils ont toujours raison, après leur mort. [ls se compromettent pour les autres, avec
un magnifique mépris de leur intérêt personnel. Vic-