Les derniers jours d'André Chénier
290 LES DERNIERS JOURS D'ANDRÉ CHÉNIER
Révolution. ‘L'amour était apparemment l'unique préoccupation des gens de ce temps-là. Une sorte d’atmosphère capiteuse et grisante troublait agréablement toutes les cervelles, tous les cœurs dans la rue, dans les salons, à la ville, à la cour. Le peuple de Paris, vêtu de costumes clairs et bruissant de rimes légères, semblait jouer une opérette exquise, pour le plaisir de l’humanité.
On parlait d'amour, aussi bien aux vendredis de la sévère Mme Necker qu'aux soupers de la duchesse de Mazarin. Chez la duchesse de Chartres, au PalaisRoyal, Mme de Genlis pinçait de la harpe et dissertait éloquemment sur Werther. Mme de Blot, femme sensible, aurait voulu aller « trouver Jean-Jacques Rousseau pour lui consacrer sa vie ».
Oh! Trianon, les allées fuyantes, les prairies, les grottes de rocaille, les colonnades corinthiennes, les chaumières rustiques, le temple d'Amour! Oh! les bosquets de lilas, les berceaux de charmilles, les parterres de jacinthe, les tonnelles de pampre et de chèvrefeuille, où les chapeaux de paille enrubannée et fleurie, abritant le teint délicat des bergères en robe de percale et fichu de gaze ou de linon, étaient salués avec révérence par les tricornes galonnés d'argent et d’or.
Plaisir d'amour ne dure qu'un moment...
Après ce rêve florianesque, accompagné par la musique de Grétry, ce fut l’épouvantable cauchemar, savamment mis en scène par les sinistres cabotins de la Terreur. Quel atroce coup de théâtre! La prison, l'humidité, les ténèbres, la mauvaise odeur de la geôle, ces chambres obscures, où l'on entassait, pêle-mêle, les plus belles femmes de France, les nobles et les roturières, les reines et les bourgeoises, Marie-Antoinette et Manon Roland! Que de figures charmantes et douloureuses, entrevues à travers les barreaux des