Paul et Bonaparte : étude historique d'après des documents inédits

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fait de guerre, quand on ne se bat pas on est battu. Entendezvous? Je veux que vous leur disiez cela afin qu'ils voient que vous et moi nous sommes des gens d'esprit (1). » Ces lignes prouvent que Catherine ne se reconnaissait nullement solidaire « de la honte et de l’opprobre des hauts alliés, ou du moins des deux cousins » et que dans son for intérieur elle les tenait en piètre estime, bien qu'ils fussent l’un empereur d'Allemagne et l’autre roi de Prusse (2). Mais voici qui est plus fort. « Ce qui m'étonne, écrit l’impératrice au prince de Ligne, feld-maréchal autrichien, c’est que les pluies, les bourbes, les disettes de vivres n’empêchent point que Custine, Dumouriez, Montesquieu et Sequelles n’aillent en avant? D'où vient qu'il pleut pour les uns tandis qu'il ne pleut pas pour les autres? Pourquoi ne s'embourbe-t-on pas des deux côtés ? L’herbe et les grains croissentils sous les pieds des rebelles, tandis que ceux qui les combattent meurent de faim (3)? » Le mot de l’énigme, Catherine nous le donne dans une autre lettre à Grimm : « C’est que, dit-elle, ces démons savent marcher oùils veulent aller, malgré les pluies, les boues et le manque de vivres et de fourrages, tandis que nos compassés ne parviennent nulle part où ils devraient aller (4) »… Et pendant que tout le monde autour d'elle s'accordait à prédire à la France une chute imminente et terrible que semblaient en effet présager les orgies sanglantes de Quatre-vingt-treize, seule cette femme extraordinaire voyait clair dans l’avenir et écrivait ces paroles prophétiques : « Sila France sort de ceci, elle aura plus de vigueur que jamais ; elle sera obéissante et douce comme un agneau; mais il lui faut un homme supérieur, habile, courageux, au-dessus de ses contemporains et peut-être du siècle même. Est-il né? Ne l’est-il pas? Viendra-t-il? Tout dépend de cela. S'il s’en trouve, il mettra le pied devant la chute ultérieure et elle s'arrêtera là où il se trouvera : en France ou ailleurs (5). »

Tout comme sa mère, l’empereur Paul, en prenant les armes contre la France, croyait de bonne foi contribuer à son salut. Son but unique était : la restauration du trône et de l'autel. A cette

(4) Catherine à Grimm, le 10 novembre 1796 (Recueil de la Société impériale d'histoire de Russie, XXIV, p. 578).

(2) Même lettre.

(3) Catherine IL au prince de Ligne, novembre 1792 (Méme Recueil, XIII, p-. 230).

(4) Catherine IT à Grimm, le 18 décembre 1792 (Méme Recueil XXIV, p. 519)

(5) La même au même, le 22 février 1794 (Ibid., p. 591).