Paul et Bonaparte : étude historique d'après des documents inédits
PAUL ET BONAPARTE. 643
ne se faisaient nullement serupule de rechercher les bonnes grâces du Palais-Royal. Le mème jeu se répéta après que le prince-président de la deuxième République se fit proclamer empereur sous le nom de Napoléon IL. En vain Nicolas essaya-t-il de rappeler l'Autriche et la Prusse au respect de leurs engagements envers la Russie, leur bienfaitrice, menacée en Orient par une ligue anglo-française. La sainte-alliance disparut comme par enchantement, Autrichiens et Prussiens virèrent de bord et la Russie se trouva subitement en présence d'une coalition européenne aussi générale que celle qu'elle avait elle-même dirigée jadis contre la France. Telle est la Némésis de l'histoire.
Ne vous semble-t-il pas qu'il y avait un moyen bien simple pour faire rentrer dans le néant cette coalition en apparence indissoluble? Il aurait suffi pour cela de faire acte de politique nationale. La Russie trahie par ses alliés n'avait qu’à riposter à leur défection en dénoncant les traités de 4815 qui cessaient d’être obligatoires pour elle du moment où ils avaient été enfreints par les autres parties contractantes. Une conséquence de cette mesure eût été la remise en question de l’état de possession territoriale institué par ces mêmes traités, et par conséquent le retour à la France des limites du Rhin et des Alpes. S'imagine-t-on Napoléon LL faisant la guerre à la Russie qui le remettait en possession des « frontières naturelles », au profit d’alliés qui les lui contestaient dans le présent comme dans lavenir? Par malheur, cette idée si simple et si légitime ne s'est même pas présentée à l esprit des hommes d'État russes d'alors. Ils étaient trop imbus des préjugés qui leur enjoignaient de sacrifier l'intérêt et l'honneur nationaux aux exigences du soi-disant « ordre moral », et la Russie dut payer de ses droits au protectorat de ses coreligionnaires d'Orient, du libre exercice de sa souveraineté sur la mer Noire,enfin d’une portion notable de son territoire, l'attachement de ses diplomates à une tradition surannée.
Il me reste peu de choses à dire sur les rapports ultérieurs des deux pays. Ils sont trop récents pour ne pas être présents à la mémoire de tout le monde. La Russie crut user de justes représailles en assistant impassible à l’écrasement et à la mutilation . la France en 1870-71 ; la France le lui rendit en s’associant à l'œuvre d’iniquité qui porte dans l’histoire le nom de traité de Berlin. Ces événements néfastes ont changé du tout au tout l’aspect de la surface politique de l’Europe. Les deux extrémités