Paul et Bonaparte : étude historique d'après des documents inédits

642 LA NOUVELLE REVUE.

préoccupation constante de l'Angleterre, de la Prusse et de l’Autriche, a été d'empêcher que la Minis et la France, connaissant enfin leurs torts réciproques, ainsi que la parfaite identité de leurs intérêts nationaux, n’en arrivassent à cesser de se considérer comme adversaires et à essayer d’une politique d'entente qui nécessairement n'aurait pas tardé à amener entre eux une association durable de vues et d'action. I fallait à tout prix conjurer ce danger. On commença donc par éveiller les méfiances de la Russie contre la France, de la France contre la Russie. On disaitaux Russes : « Prenez garde! La France veut révolutionner l'Europe! » On insinuait aux Français : « L’ambition insatiable de la Russie ne vise à rien moins qu'à conquérir le monde. Gare à vous !— Ne voyez-vous pas, soufflait-on dans les couloirs du palais d'Hiver à Pétersbourg, que l'alliance française ne peut manquer de saper les bases mêmes du pouvoir absolu des tsars !— Comment voulezvous, criait-on à Paris sur les toits, que la Russie s'accommode de vos libertés publiques, etne cherche pas à vous ravir cet héritage glorieux de la Révolution ! »

Puis, on se distribua les rôles. L’Angleterre rechercha l’alliance de la France, l'Autriche et la Prusse s'unirent à la Russie. L'Europe se partagea en deux camps : « l'entente cordiale » des deux puissances maritimes faisant contre-poids à « la saintealliance » des trois États du Nord. L'union de chacun de ces groupes était-elle cimentée par la communauté d'intérêts ou du moins par une amitié sincère ? Bien hardi qui oserait l’affirmer.. ILest prouvé aujourd’hui que les Anglais étaient tout aussi peu disposés à favoriser le développement de la grandeur de la France que les Autrichiens et les Prussiens celle de la Russie. Ils ne ressentaient pour leurs alliés que haine et jalousie, et se crampon-

-naient à eux parce qu'ils savaient que sans cela Russes et Francais seraient irrésistiblement entraînés à se jeter dans les bras les uns des autres. Ainsi ces liens de la double alliance n'étaient en réalité qu'un frein.

Grâce à ces multiples précautions, la France et la Russie se sont boudées pendant tout le règne de Louis sans que l’on puisse trouver le moindre prétexte plausible à leur mésintelligence. De Vienne et de Berlin on était parvenu à faire accroire à l’empereur Nicolas qu'il dérogerait en entretenant des rapports personnels de courtoisie avec Le roi élu des Français, mais les cours d'Autriche et de Prusse imitant l'exemple de la famille royale anglaise