Paul et Bonaparte : étude historique d'après des documents inédits
646 LA NOUVELLE REVUE.
en deux mots : méfiance, raideur. Cette attitude était jusqu'à un certain point justifiée au xvnr° siècle lorsque Île cabinet de Versailles prenait ostensiblement fait et cause pour tous les ennemis de la Russie. La routine diplomatique devient aisément doctrinaire et aime à s'appuyer sur la tradition. Pendant la Révolution, de nouveaux motifs viennent s'ajouter aux anciens et porter au comble l’animosité des diplomates russes à l’égard des républicains français. Les représentants de Catherine IL et de Paul près Les prineipales cours appartenaient tous à la haute noblesseet considéraient comme un devoir d'honneur d'affirmer une solidarité de caste avec la noblesse de France, persécutée et proscrite. Sous le nom de « bonne cause » ils entendaient la cause de la monarchie comme celle de la noblesse internationales, oubliant les intérêts divergents des différents États pour ne se souvenir que de leur commune résistance aux principes proclamés par la Révolution. De là ce spectacle si anormal d’ambassadeurs de Russie s'identifiant avec les vues, les passions et jusqu'aux préjugés des cours étrangères auprès desquelles ils étaient accrédités, parce qu'ils y cherchaiïent avant tout des alliés contre l'ennemi commun, en fermant volontairement Les yeux sur les agissements de ces mêmes cours en désaccord manifeste avec les intérêts bien entendus de leur propre pays. Quoi de plus caractéristique en effet que cette admonestation sévère mais méritée que l’empereur Paul se vit obligé d'adresser au comte Rasoumovsky: « Je voudrais que toutes les fois que vous traiterez avec le baron de Thugut, vous vousrappeliez que vous êtes Russe et que vous êtes mon ambassadeur à Vienne, pour mes affaires.
Mais ce fut bien pis quand dans les premières années du uxe siècle, ilse produisit dans les rangs de cette diplomatie une évolution dans un sens antirusse très prononcé, évolution qui peu à peu aboutit à une entière dénationalisation de cette branche du service publie par l'élimination de l'élément indigène tant du département central que des missions à l'extérieur, et l'envahissement progressif de tous lesemplois importants par des étrangers, ne professant pas la religion du pays, ne parlant ni ne comprenant sa langue, ignorants de son passé, insouciants de son avenir.
Ce phénomène d'une grande portée historique je lai analysé
(1) L'empereur Paul au comte Rasoumovsky, le 12 août 1799.