Paul et Bonaparte : étude historique d'après des documents inédits

656 LA NOUVELLE REVUE.

le moment actuel il n'est pas permis à notre cour d'entrer en accord amiable avec les Français, sans offenser la dignité de l’empereur et abandonner nos alliés. On peut sans le moindre inconvénient attendre l'issue de leurs négociations et celle d’un changement intérieur en France. Ces grands événements ne sont plus éloignés de nous, il ne nous faut que quelques jours de patience. Quel parti prendrez-vous si vous recevez simultanément et l’acte signé par moi et la nouvelle d’une reprise des hostilités sur Les bords du Rhin et de l’Adige? Que répondrez-vous alors à Vienne et à Londres quand on exigera de vous des secours et l'exécution des traités? Que vous direz-vous à vous-mêmes lorsque vous apprendrez que les hommes avec lesquels vous me forciez à négocier sont rentrés dans cette fange dont ils étaient sortis, pareils à des météores, pour vous aveugler pendant un instant? Pardonnezmoi, cher cousin, si je me trompe, emporté par mon zèle Rappelez-vous seulement que je suis le seul des ministres de l’empereur qui grâce à ses liens de parenté avec vous peut vous tenir ce langage. Je vous supplie, je vous conjure, au nom de votre propre gloire, de prendre en müre considération mes dépêches de ce jour. Elles sont mal rédigées, mais la plume qui les a tracées sera toujours conduite par Le désintéressement le plus pur et un attachement illimité aux intérêts de notre auguste souverain. Obtenez au moins un délai de quelques jours. Les ministres des cours étrangères attendent ordinairement avec impatience leurs décisions ; moi, cette fois-ci, je fais des vœux pour que vous me négligiez : quand je dis vous, j'entends le chancelier. (1) »

On a de la peine à comprendre et surtout à excuser cette diatribe violente et passionnée après avoir pris connaissance du projet de traité rédigé par Caillard et soumis par lui au négociateur russe. Dans son impatience d'arriver à une solution prompte, le plénipotentiaire français avait mis le plus grand soin à tout ce qui pouvait encore froisser le cabinet de Saint-Pétersbourg et poussa la condescendance jusqu'à tenir compte de toutes ses susceptibilités. Ainsi, dans le préambule, le nom et le titre de l’empereur étaient mentionnés avant ceux du Directoire. Les deux premiers articles stipulaient Le rétablissement, entre Les puissances contractantes, de la paix, de la bonne intelligence et de l'amitié; l’article sixième et dernier fixait Le terme pour l'échange

(1) Le comte Panine au prince Alexandre Kourakine, le 10 septembre 1797.