Paul et Bonaparte : étude historique d'après des documents inédits

664 LA NOUVELLE REVUE.

rétablir le royaume de Pologne, en y placant sur le trône le prince Henri de Prusse, frère du grand Frédéric. A l'appui de celle accusation, il cite les instructions du Directoire à Caillard et les dépêches de ce ministre qu'il disait lui avoir été vendues par son valet de chambre (1). Il se faisait en même temps l’avocat chaleureux des fautes de l'Isle et obtenait pour ce prince et sa famille un refuge au château de Mittau. Toutes ces intrigues, soutenues à Pétershourg par un parti puissant, finirent par triompher des indécisions de Paul. En janvier 1798, il donna à Panine l’ordre de couper court à ses rapports avec la légation de France à Berlin (2).

La rupture diplomatique préluda au renouvellement de la guerre. [l n'entre pas dans le plan de mon travail de raconter les émouvantes péripéties de la lutte qui s'ensuivit et où pour la première fois les armées russes se trouvèrent aux prises avec : celles de la France. Si Je me suis étendu avec une certaine abondance de détails sur les négociations de 1797, c’est parce qu'elles démontrent Jusqu'à quel point la politique des souverains les plus absolus est influencée par Ceux qui sont appelés à la mettre en œuvre. En effet, l’insubordination de Panine a eu des suites incalculables. N’a-t-elle pas été la cause première de la seconde coalition qui ajouta de magnifiques lauriers à l'apanage de gloire militaire des deux nations, mais qui leur fit aussi dépenser des trésors im menses, verser des flots de sang, et pourquoi? Pour en arriver à reconnaître qu'elles n'avaient aucun motif raisonnable de se faire la guerre, que leurs victoires comme leurs défaites ne profitaient en somme qu'à leurs adversaires communs, tandis qu’un accord entre elles assurerait à Jamais leur sécurité et leur puissance et les rendrait arbitres des destinées de l'univers.

Cette grande pensée qui, ainsi que je l'ai exposée, avait déjà

‘germé dans l'esprit de Louis XIV et de Pierre le Grand, a été reprise par le puissant génie de Bonaparte, approuvée et partagée par l’âme noble et généreuse de l'empereur Paul. S'il lui avait été donné alors de triompher de tous les obstacles et de devenir la règle immuable de la politique de la Russie et de la France, il est incontestable que le cours de l’histoire s’en trouverait changé et que l’Europe contemporaine se serait présentée à nos regards sous un aspect tout différent.

(1) Le comte Panine à Paul, les 9 ct 24 janvier 1798. (2) Paul au comte Panine, le 5 février 1794.