Paul et Bonaparte : étude historique d'après des documents inédits

PAUL ET BONAPARTE. 663

rétablir ses finances épuisées, reconstituer sa force armée? Panine reçut donc, au commencement de novembre, l’ordre formel de renouer sa négociation avec Caillard. Sa première demande devait être toujours l'élargissement du vice-consul Zagoursky, et ce n’est qu'après en avoir reçu la promesse positive au nom du gouvernement français, qu'il lui était permis de traiter du rétablissement de la bonne intelligence (1).

Rétif par tempérament, aveuglé par la passion politique, Panine osa une seconde fois désobéir aux ordres précis de sa cour. Ilinvoqua comme prétexte le silence du Directoire sur l'incident Zagoursky et alla même jusqu’à accuser « le républicain » (c’est ainsi que dans ses dépèches il désignait Caïllard) « d'en parler de la manière la plus indécente et de pousser l'audace jusqu’à justifier cette infraction inouïe au droit des gens ». Il en concluait « qu'il valait mieux ne rien précipiter, ne point aller audevant des républicains, attendre quelques dispositions de leur part à une réparation proportionnée à l’insulte et ne parler « au « Caillard »que s'il en fournissait lui-même l’occasion. » Dansses rapports en cour, il motivait ses procédés par son zèle à ne pas compromettre la dignité et la gloire de son auguste maître, mais il était plus franc dans ses épanchements avec ses amis, leur faisant directement entendre que sa grande préoccupation c'était de gagner du temps pour prévenir les projets de l'Angleterre. Nous lisons dans une de ses lettres au prince Kourakine : « Je vous estime trop, cher cousin, pour vous cacher ma manière de penser qui diffère de la vôtre au sujet du rapprochement avec la France. Je pense que le temps n'est pas encore venu; que nous n'avons pas le droit d’enfreindre notre alliance avec l'Angleterre; que la gloire de l’empereur nous défend d'abandonner notre allié, dans le moment le plus critique pour lui; que le plan proposé par cette cour est le seul conforme aux intérêts de la Russie; qu'en le repoussant, nous contribuerons au renversement de tous les principes. Je dirai plus : je crois qu’en dictant ses derniers ordres au sujet de Caillard, l'empereur n'a pu prévoir la position dans laquelle se trouve l'Angleterre et qu'il les contremandera (2). »

Pour arriver à ses fins, Panine, à partir de ce moment, ne négligea rien de ce qui pouvait indisposer l’empereur contre la France et son gouvernement. Il attribua à ce dernier Le projet de

(1) Paul au comte Panine, le # novembre 1797. (2) Le comte Panine au prince Alexandre Kourakine, le 10 décembre 1797.