Paul et Bonaparte : étude historique d'après des documents inédits

662 LA NOUVELLE REVUE.

Le projet du Directoire différait, comme on voit, sur des points. essentiels du traité ébauché par Caillard (1). Ce ministre le transmit. à Panine qui l’achemina à Pétersbourg dans l’espoir que les nouvelles exigences de la France y feraient définitivement abandonner l’idée de poursuivre les négociations de paix.

Il n'en fut rien. On venait d'apprendre à la cour de Russie la conclusion du traité de Campo-Formio qui mettait fin à la lutte entre l’empereur d'Allemagne et les Francais. Cette grave nouvelle occasionna un nouveau revirement dans la politique de Paul. Il risquait de se trouver bientôt seul en guerre avec la France. De plus, certaines conditions de Ia paix de Campo-Formio lui paraissaient préjudiciables aux intérêts de la Russie. De ce nombre était la cession à la France des iles Toniennes. « Ce qu'il y a de plus fort, écrivait à ce sujet Besborodko au comte Alexandre Woronzoff, c'est que la cour de Vienne en nous communiquant sa paix nous demandait ce que nous en pensions et se déclarait prête, si nous ne la trouvions pas utile et profitable à l'empire germanique, de la rompre, à la condition préalable pour nous de faire agir toutes nos forces contre les F rançais. Assurément nous ne nous mêlerons pas de l'affaire, mais nous tâcherons de nous réconcilier nous-mêmes avec la France, tout en regrettant que l’œuvre commencée et aux trois quarts achevée a été gâtée. J'ai eu tort de me confier au comte Panine, car c’est lui qui est la cause de la rupture de cette négociation. Il s’est trop imprégné des principes du comte Morkoff et aujourd'hui ayant appris du ministre d'Angleterre à Berlin que la cour de Londres proposait une nouvelle coalition contre les Français, il y a donné tête baissée. Mais cela à été mal accueilli. Car il faut rendre cette justice à l'empereur qu'il comprend toute l'impossibilité et toute. l'insuffisance de mesures pareilles (2). »

Paul et son chancelier étaient d'accord sur ce point : il était temps que la Russie songeât à elle-même. Pouvait-elle raison nablement rester seule en lice après que toutes Les autres puissances du continent avaient fait leur paix avec la République? N'avait-elle pas besoin de repos, elle aussi, après six années de stériles agitations, pour mettre de l’ordre à sès propres affaires,

(1) Move (I, p. 39) prétend à tort que le projet de traité du Directoire différaït peu de celui de Caillard.

(2) Le prince Besborodko au comte Alexandre Woronzoff, le 4 décembre 1797 (4. d. P. W. XI, p. 379).