Paul et Bonaparte : étude historique d'après des documents inédits

PAUL ET BONAPARTE. 635

davantage de l'empereur; que l’on sait dans toute l'Europe quelle est l'attention de Sa Majesté pour l'intérêt de ses alliés et que si le Tsar est quelque jour du nombreil en connaitra l'utilité (1). »

Notons en passant que cette démarche a été faite au lendemain du désastre de Narva et bien des années avant la victoire décisive de Poltava et la conquête par les Russes du littoral de la Baltique. Ces derniers événements'ne firent que confirmer Louis XIV dans ces intentions. Nous lisons, en effet, dans un « mémoire sur une négociation à faire pour le service du Roi » portant la date de 1710 : « Le Tsar vient de faire des conquêtes qui le rendent maître de la mer Baltique : leur situation rend leur défense si facile à la Moscovie que toutes les puissances voisines ne pourraient les faire restituer à la Suède. Ce prince fait paraître son ambition par le soin qu'il prend d'aguerrir ses troupes, d’instruire, de policer sa nation, d'y attirer des officiers étrangers et toutes sortes de gens capables. Cette conduite et l'augmentation de sa puissance qui est la plus grande en Europe le rendent formidable à ses voisins et donnent une jalousie bien fondée à l'Empereur et aux nations maritimes; ses pays fournissent abondamment tout ce qui est nécessaire à la navigation, ses ports peuvent contenir une quantité de vaisseaux. Il doit vouloir que ses sujets commercent dans toute l'Europe, ce qui ne saurait convenir aux intérêts de l'Angleterre et de la Hollande qui veulent être les voituriers de toutes les nations et faire seules le commerce du monde. » Le mémoire insistait sur l'opportunité d'envoyer un nouveau plénipotentiaire en Russie pour y négocier un traité d'alliance et se terminait par ces mots : « Le cardinal de Richelieu tira GustaveAdolphe de la conquête de Livonie pour abattre la puissance de la maison d'Autriche. Il serait heureux dans la conjoncture présente de tirer le tsar de la conquête des mêmes provinces pour en faire le même usage (2). »

Si l'alliance tant désirée n'a pas été conclue du vivant de Louis XIV, la faute en est au roi qui, tout en cherchant à ébranler la confiance du tsar dans ses alliés, ne voulut pas lui sacrifier les siens. Il ne tarda pas à se porter médiateur entre la Russie et la Suède avec l’arrière-pensée d'acquérir l'alliance de la première

(1) Mémoire pour servir d'instruction au sieur Baluze allant à Moscou en qualité d'envoyé extraordinaire du Roi auprès du grand-duc de Moscovie, en date de Fontainebleau le 28 septembre 1702 (Recueil de la Société Impériale d'histoire de Russie,

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XXXIV, p. 108). (2) Tbid., p. 418.