Paul et Bonaparte : étude historique d'après des documents inédits

638 LA NOUVELLE REVUE.

Polonais et les Turcs. Cela ne suffit-il pas à expliquer comment,

travers tout le xvin* siècle, le désaccord n’a fait que croître entre Saint-Pétersbourg et Versailles, pour aboutir à un état d'hostilité tellement déclaré que Catherine IT en arriva à envisager les Français comme « ennemis implacables » de son empire (1).

Néanmoins, on risquerait fort de se tromper si l’on cherchait dans cette énonciation la cause première de l’animosité témoignée par la grande impératrice à tout ce qui, de près ou de loin, touchait à la Révolution française. Il n’entrait pas dans les habitudes de Catherine de faire de la politique de sentiment. Son esprit . supérieur lui démontrait la nécessité d’une France grande et forte pour servir de contrepoids efficace à la puissance maritime de l'Angleterre et aux velléités ambitieuses de l’Autriche ou de la FR Or, elle ne pouvait se figurer un grand État européen solidement constitué autrement que sous le régime monarchique. Comment aurait-elle pu d’ailleurs se faire une idée exacte des dimensions et de la portée du mouvement révolutionnaire? N’étaitelle pas circonvenue par les émigrés qui, à ses yeux comme à ceux de toutes Les cours, représentaient la monarchie française? L’intention de l’impératrice se bornait quand même à leur prêter mainforte. Elle voulait les aider à rentrer en France et à y rétablir avec l'autorité royale Fantique constitution du royaume. « Ces parlements, disait-elle dans une lettre à son confident intime, l’encyclopédiste Grimm, tiennent à la monarchie et, sans eux, la France sera une république ou bien le roi deviendra un despote (2). » Elle fit tout ce qui dépendait d'elle pour faire prévaloir ce programme dans les conseils de la première coalition, mais impuissante à empêcher l'invasion de la France par les troupes autrichiennes et prussiennes, mesure qu’elle désapprouvait formellement, elle imposa du moins à ses alliés l'obligation de ne porter dans aucun cas atteinte à l'intégrité du Dire français. L'empereur et le roi de Prusse insistant sur une « indemnisation » de leurs frais de guerre, elle préféra leur abandonner quelques provinces polonaises, plutôt que de consentir à ce qu'ils se taillassent des compensations en Alsace et en Loiraine (3). C'est ce

(1) Catherine II au comte Czernischeff, le 18 juillet 1749 (Archives russes, 1871, 4 Catherine II à Grimm le 3 novembre 1771 (Recueil de la Société impériale

d'histoire de Russie, XXIV, p. 54). (3) La proposition en avait été faite par la Prusse à l'Autriche ainsi qu'il résulte